"Papa m’a transmis le goût de cet exercice que j’ai abordé comme le pilotage": rencontre avec Adrien Tambay, consultant C+ sur le Grand Prix de Monaco

On l’a retrouvé ce jeudi matin quai Antoine-1er, près de l’épingle de la Rascasse. Autre circuit, autre casquette pour Adrien Tambay qui, à 34 ans, va vivre ce week-end son premier Grand Prix de Monaco dans la peau d’un consultant de la dream team Canal+. Retour vers le futur...
Adrien, vous vous souvenez de la première fois où vous mettez les pieds au Grand Prix de Monaco ?
Le tout premier, difficile de le dater précisément. Quand j’étais gamin, on ne manquait pas une édition. Il y a des tas de souvenirs qui se bousculent dans ma mémoire. Dont celui-ci, tenez... (Il sourit). Pff, je ne sais pas si je peux vous le raconter. Bon, allons-y, il doit y avoir prescription. C’était en 2007, l’année de mes débuts en monoplace. En se baladant sur la pitlane avec mon père, on rencontre Helmut Marko(1). Durant la conversation sont évoqués mes premiers résultats positifs en Formule BMW, pole positions, podiums. Et quand le Docteur Marko nous dit qu’il va garder un œil sur moi, papa ne trouve rien de mieux que de lui répondre : « J’espère que ce sera le bon (œil, ndlr)... » Voilà, son visage est resté impassible mais il a dû rire jaune intérieurement. Inutile de vous dire qu’il n’est jamais revenu vers moi. Je préfère penser que c’est à cause de ce trait d’humour un peu limite...
Quatre ans plus tard, en 2011, vous faites connaissance avec le circuit de Monaco au volant d’une Formule Renault 3.5...
Mon seul week-end de course ici. Ça, c’est le vrai souvenir ! Le plus fort. J’ai vingt balais, je découvre le tracé mais aussi l’auto grâce à un sponsor monégasque qui finance ce baptême du feu. Alors que l’écurie Pons Racing n’avait pas encore marqué le moindre point, j’en glane quelques-uns d’entrée (7e) en terminant devant mon coéquipier. Je me bagarre avec Jean-Eric Vergne qui joue le titre à l’époque. Expérience fabuleuse ! Comme le Rallye Monte-Carlo disputé la même année, d’ailleurs (18e sur une DS3 R3T) ! Route ou piste, au volant, on sent que l’on vit quelque chose d’exceptionnel. Vous mesurez votre chance. Ce circuit, il me donne envie de rouler, de courir, tous les jours. Si jamais on me propose une « wild-card » (invitation) pour la Porsche Supercup, je ne dis pas non, croyez-moi !
Un jour, en 2017, entre deux courses, vous mettez le doigt dans l’engrenage des médias. On peut dire que vous suivez là aussi les traces paternelles ?
Oui, impossible de l’expliquer d’une autre manière. J’ai passé tellement de temps assis tout près de Jean-Luc Roy et de papa en cabine. Surtout durant la période de la chaîne à péage Kiosque du groupe Canal Satellite où ils commentaient les Grands Prix depuis Paris (de 1997 à 2002). Je vivais ça avec eux, de l’intérieur, chaque qualif’, chaque course, ou presque. Papa m’a transmis le goût de cet exercice que j’ai abordé comme le pilotage, avec le même souci de faire du bon boulot, d’être précis, perfectionniste...
Puisque vous dressez un parallèle entre volant et micro, les montées d’adrénaline sont-elles comparables ?
Sans aller jusqu’à dire que la pression liée au direct s’avère aussi forte, on ressent la même boule au ventre avant une intervention. Le même petit truc, le même état émotionnel... La peur de n’avoir rien à dire vous tenaille alors qu’il n’y a aucune raison de n’avoir rien à dire ! Tout cela pousse à être concentré à fond, pleinement lucide. Canal+, c’est une grande maison. La chaîne des sports mécaniques, de la Formule 1. Beaucoup de gens vous regardent. Des connaisseurs. Donc il y a une obligation de performance. Pas trop le droit à l’erreur. Comme un pilote. Ou un chirurgien qui, lui, sauve des vies !
Après l’apprentissage accéléré sur les antennes de RMC et BFM, quand et comment avez-vous intégré l’écurie Canal+ ?
En fait, l’aventure Canal, elle commence avant. Très tôt, dès qu’ils deviennent diffuseurs des Grands Prix. En 2013 ou 2014, alors que j’évolue outre-Rhin sur les circuits du championnat DTM en tant que pilote Audi, je suis l’un de leurs premiers consultants pour les courses de GP2 (l’ex-Formule 2), au côté de Stéphane Genti. L’an dernier, l’opportunité de rejoindre le team F1 s’est présentée, pour cinq GP. Cette saison, on enclenche la vitesse supérieure. Ma feuille de route comprend neuf échéances. Huit sur site dont les trois enchaînées maintenant : Imola, Monaco, Barcelone.
À Shanghai, vous avez commenté le Grand Prix de Chine au côté de Julien Fébreau. Content de cette première ?
Ah oui ! Julien, c’est la Rolls du commentaire. Il connaît tellement son métier, il est tellement passionné... Il sait jusqu’où aller avec son consultant quel qu’il soit, Jacques (Villeneuve), Romain (Grosjean), Franck (Montagny), moi... Bizarrement, j’ai ressenti beaucoup moins de stress et beaucoup plus de plaisir que face caméra dans le paddock ou en pitlane. Attention, j’aime les deux jobs. Mais à mon avis, la plus value du consultant, on la mesure surtout dans l’exercice du commentaire en direct. Là, outre l’analyse et la vulgarisation, il faut anticiper ce qui va se passer, expliquer les différentes stratégies possibles. En temps réel !
Monaco, c’est un virage à part ?
Week-end spécial, oui. Puisque le Grand Prix de France est hélas passé à la trappe, pour Canal+, il s’agit de la course à domicile. La chaîne déploie l’artillerie lourde : plus de journalistes, de consultants, un superbe plateau pied dans l’eau entre paddock et piste. De quoi traiter l’événement comme il se doit...
Les qualités essentielles d’un bon consultant, en deux ou trois mots ?
Objectivité, recul... (Il réfléchit) Mesure, aussi, même si certains confrères friands d’avis tranchés ne seront pas d’accord. Et puis franchise, naturellement. Pardon, ça fait quatre !
1. Durant sa carrière de pilote, l’Autrichien devenu l’un des dirigeants de l’écurie Red Bull, où il est responsable de la filière des jeunes pilotes, a perdu un œil dans un accident lors du Grand Prix de France 1972, sur le circuit de Charade.
Nice Matin